Claudio marqua un point important dans l’histoire de l’alpinisme par un exploit qui demeure remarquable aujourd’hui encore, et qui en ce temps-là stupéfia le monde de l’escalade, non seulement à cause de la prestation physique mais surtout parce qu’il représentait un défi à la tradition et à l’éthique de l’alpinisme conventionnel de l’époque.
Le 20 août 1961, il arriva au refuge Locatelli pour faire la première solitaire d’une nouvelle voie sur la Cima Grande. Bepi Reider lui annonça que cette solitaire venait juste d’être faite.
Claudio fut fort déçu et sombra dans une noire méditation dont il émergea en annonçant :
– « Si c’est comme ça, je m’en vais vous faire voir quelque chose de nouveau, quelque chose que vous n’avez encore jamais vu… »
Comme toujours il était sans le sou et sa grande préoccupation était de savoir s’il pouvait se permettre de dépenser ses dernières lires pour un café… Puis, en accord avec son esprit ironique habituel, il décida de se permettre tous les caprices, car s’il échouait, il n’aurait plus besoin d’argent… et s’il réussissait son entreprise, il aurait – pensait-il – un tel succès qu’il n’aurait plus besoin d’argent non plus…
Donc, le 24 août 1961, face aux Cime di Lavaredo, il attaqua.
Plus tard, il envoya cet éloquent horaire à Marino Stenico :
Cima Ovest , voie Cassin
(2e solitaire) : 05h20 – 08h18
descente : 08h30 – 09h30
Cima Grande, voie Comici : 10h10 – 13h10
Piccolissima, voie Preuss : 14h45 – 15h55
Punta di Frida, voie Dülfer : 16h30 – 17h30
Cima Piccola, voie Innerkofler : 17h55 – 18h25
Ce qui signifie qu’en 13h05 (dont 8 h 40 d’escalade effective) il avait parcouru 1750m d’escalade, et 3500m de dénivelée si on compte les descentes…
Ce fut le premier grand enchaînement de l’histoire de l’alpinisme !
Claudio fut satisfait de son exploit, mais, sans perdre son sens critique, il affirmait qu’une première solitaire d’une voie qu’il ne connaissait pas, comme la première solitaire de la voie « Italia 61 » ou de la Torre di Valgrande avait plus de valeur que n’importe quelle autre prestation.
Anne Lauwaert
« La Voie du Dragon » (manuscrit, 1991)
Avant cette date, deux des faces Nord des Tre Cime : celle de la Cima Grande et celle de la Cima Ovest, avaient déjà été enchaînées en un jour, à deux reprises. Une première fois pas la cordée Toni Egger et Mayer en 1955 ; une deuxième fois par la cordée Jean Alzetta et Jean Bourgeois, le 27 août 1960, en un horaire très rapide (4 h 20 pour la voie Cassin de la Cima Ovest, 4 h 20 pour la Comici-Dimai de la Cima Grande).