Depuis le premier jour je l’entendis parler du livre qu’il allait écrire et dans lequel « il allait tout raconter » et régler ses comptes avec tout le monde. Que de fois je l’entendis se déchaîner avec des « et ça, je l’écrirai dans mon livre ! Je dirai comment ça s’est passé ! J’écrirai la vérité ! »
On peut se faire une idée de ce qu’aurait été ce livre en parcourant ses notes et sa correspondance.
Ainsi par exemple, le 30 mars 1976 il écrivit à Toni (probablement Hiebeler) :
« Cher Toni, voici quelques précisions à propos de ma rencontre avec le Cervin en 1961. D’après la version Barbier, les deux héros montèrent trois fois en six jours à la Hörnlihutte ; dans son livre, Schlömmer l’écrit tout à fait différemment. Mais peut-être n’a-t-il pas écrit le livre lui-même ?
Tu peux me croire ou non, mais il y a beaucoup de gens qui embellissent la vérité. J’ai été trop paresseux pour continuer la polémique avec Messner. De toutes façons ceux qui sont intelligents ont compris, et avec les stupides il n’y a pas d’espoir. (…)
Le médecin de l’expédition au Jannu mène une enquête à propos du doping en montagne. J’ai reçu un formulaire. Oui, Toni, ta méchante blague avec Terray vit encore ! Tout cela se payera très cher dans mon livre !
Le 6 et 7 mai, les Rolling Stones viennent à Bruxelles. Entrée seulement 20 DM ! Bonatti ne grimpe plus depuis un bon moment, les Stones continuent à réjouir des millions de personnes.
Servus, vieux « Seil und Abseilkamerad » de la Guglia della XLIII Legione ! »
Mais ce livre, quand l’aurait-il écrit ?
Quand nous rentrâmes en Belgique, à la fin de l’été 1976, le propriétaire des rochers du Pendu interdit l’accès à sa propriété parce qu’il était chasseur et qu’il estimait que les grimpeurs dérangeaient le gibier. Claudio fut très déçu et commença séance tenante à rédiger une lettre pour demander de pouvoir refaire ses chères petites voies, ne fût-ce qu’une fois par an. Huit mois plus tard, je retrouvai la lettre encore au stade de brouillon, ce qui me convainc qu’à ce rythme, Claudio n’aurait jamais terminé «son livre».
Anne Lauwaert
Toni Hiebeler est mort en 1984, à 54 ans, dans un crash d’hélicoptère en Slovénie.