Durant plusieurs années, Claudio Barbier a tenu, dans le Bulletin du Club Alpin Belge, la « CHRONIQUE DES ROCHERS BELGES » ainsi que la « CHRONIQUE ALPINE ». Nous en publions ici quelques échantillons.
1960 – « Les Escrocs du Pilier Bonatti (1) » (Bulletin du C.A.B. décembre)
En 1955, Walter Bonatti effectuait en solitaire la première ascension du pilier sud-ouest du Dru, au prix de six jours d’efforts incessants. Il réussissait par là un des plus grands exploits de l’alpinisme. En 1959, la course comptait déjà une dizaine de parcours. Parmi les répétiteurs se trouvaient le Suisse Michel Vaucher et le Français Pierre Cauderlier. Postés sur l’arête des Flammes de Pierre, des cinéastes filmèrent au téléobjectif divers épisodes de l’ascension.
Voici qu’est projeté le film « le Pilier de la Solitude ». Au générique, première surprise : en lettres géantes s’étale le nom de Michel Vaucher, plus bas et en caractères minuscules « avec le concours de Pierre Cauderlier ». Le culte de la personnalité ferait-il de tels ravages ? Mais un peu plus tard, on comprend l’astuce : le film prétend retracer la première ascension. Bien entendu, le nom de Bonatti n’est pas prononcé, si bien que le spectateur non averti s’imagine que Vaucher a effectué la première ascension.
Le plus grave, c’est que les neuf dixièmes du film n’ont pas été tournés au Dru, mais sur des rochers de faible hauteur. Voici Vaucher nous expliquant sa technique : pitonner jusqu’à un relais, descendre et remonter en récupérant ses pitons. Quelle belle surprise : on reconnaît immédiatement la fissure oblique où Rébuffat se plait à être photographié ! (« Neige et Roc » p. 38).
Cette fissure est très photogénique, mais elle ne se situe pas au Dru ! Quant à la démonstration d’escalade artificielle en solitaire, c’est de la fumisterie : pour retourner au relais inférieur, Vaucher, encordé à une extrémité de la corde, se laisse descendre « comme un sac » en se donnant du mou sur la corde qui passe par les mousquetons, qu’il récupère au passage ! C’est bien la preuve qu’il grimpait assuré du bas !
Une scène, cependant, semble avoir été filmée réellement au Dru. Pour flatter les goûts malsains du public, on lui offre un dévissage. Un dévissage pour rire, bien entendu : Vaucher a d’abord passé sa corde dans un piton, puis il est redescendu et se laisse penduler d’un tout petit mètre. Franchement, c’est d’une mesquinerie ! Et le profane de s’interroger : comment ce grimpeur solitaire reste-t-il suspendu ? Le profane commence à croire qu’on se moque de lui. D’autant plus qu’on lui montre en gros plan notre Vaucher qui se lamente. Il a faim, il a soif, il est tout seul (qui le filme ?). Mais après cinq jours d’escalade, il reste tiré à quatre épingles, l’œil vif, le teint frais, bien rasé ! Emporterait-il un rasoir en course ?
Finalement, le voilà excédé de devoir chaque fois redescendre pour récupérer son matériel : « Je renonce à l’assurance ! ». Immédiatement après, on voit le célèbre soliste escalader une arête qui cache mal une corde qui l’assure…… du haut !
Ce film, qui prétend retracer une ascension solitaire du pilier Bonatti, ne montre en réalité que des passages d’école, gravis par un grimpeur encordé. Bien entendu, les gogos s’y laissent prendre. Même le jury du festival de Trente est tombé dans le panneau et a décerné, à ce navet commercial, une de ses plus hautes récompenses, la Gentiane d’Or. A présent, nous pouvons nous attendre à voir réaliser d’autres films qui utiliseront le même stratagème.
A tout prendre, nous préférons l’humour involontaire de ce film américain, où le grimpeur escaladait des falaises de carton.
(1) N.d.l.R. [C.A.B.] Notre petit bulletin n’ayant aucune prétention internationale, ne publie cet article qu’en en laissant toute la responsabilité à son auteur. Nous osons espérer qu’il ne critique que l’esprit du film et pas les grimpeurs, qui sont des amis de plusieurs d’entre nous.