Avec le temps, Freyr et les autres massifs ont vu arriver de plus en plus de grimpeurs, et nombre d’entre eux tentaient de réussir les voies difficiles non pas au prix d’un entraînement exigeant mais en abaissant le niveau de ces voies par un surplus de pitonnage, de plus en plus dégradant…
Claudio, de son côté, se singularisait de plus belle avec ses escalades solitaires, parfois provocantes. Sa préférée était la « Directe », et, dans le passage le plus difficile, là où d’autres voulaient ajouter des clous, lui s’arrêtait pour allumer une cigarette, ou bien il tirait un peigne de sa poche et se recoiffait, ou bien il brandissait un poing ganté de noir comme les athlètes du Black Power aux Jeux Olympiques ou comme Johnny Hallyday pendant ses concerts… (À noter que normalement Claudio ne fumait pas – la tabagie de ses parents l’écœurait – à moins qu’il ne trouve des cigarettes de la marque Everest !)
En 1967, après des années de débats et d’incidents au sein du Club Alpin Belge, la bagarre éclata vraiment, à cause du « nettoyage » de voies par un dépitonnage que certains jugèrent excessif.
Claudio exprima son point de vue dans le Bulletin mensuel du C.A.B. – Section du Brabant, daté de juin 1967 :
En septembre 1967, via le Bulletin mensuel du CAB – section du Brabant, Jules Van Ausloos (dit « Hérisson »), secrétaire de la section, répondit à l’article de Claudio :
Le 18 juin 1968, Claudio démissionna du Conseil d’administration du Club Alpin Belge. Sa lettre de démission mentionnait notamment ceci :
« L’action du Conseil d’administration est résolument conservatrice et plus administrative que sportive. Dans ces conditions, je préfère me retirer. D’autre part, je suis peiné de constater la réputation injustifiée qui m’est faite en matière de dépitonnage. De plus, mon activité de nettoyage des voies, notamment à Dave, de repitonnage (Dave et Freyr), ainsi que de défrichement et d’équipement de voies nouvelles, est ignorée ou niée.«
Le Conseil d’administration « oublia », pendant plusieurs mois, de rendre publique cette démission, et il fallut une lettre de Claudio pour que, en décembre 1968, les membres du Club en soient informés.
Entre-temps, les actes « d’épuration des voies » se poursuivirent, donnant lieu à des incidents regrettables. Mis sous pression par des membres du CAB qui se sentaient agressés et ulcérés par le dépitonnage et par l’attitude des « puristes », des représentants du Conseil d’administration déposèrent, le 8 septembre 1968, une plainte pour « vol de pitons ». À noter qu’il ne s’agissait pas d’une plainte « contre X », mais bien d’une plainte dirigée contre quatre membres du C.A.B. !
Le 15 octobre, le Conseil d’administration confirma cette plainte et décida d’exclure du Club Alpin Belge les coupables dès qu’ils seraient identifiés.
Un beau matin, les gendarmes, munis de mandat de perquisition en bonne et due forme, se présentèrent au domicile des suspects. Les policiers, qui n’avaient aucune idée de la nature des controverses entre grimpeurs, saisirent non pas les vieux clous rouillés et tordus qui auraient pu être des pièces à conviction, mais de beaux pitons flambant neufs qu’ils pensaient être « le butin ».
La malheureuse descente de police provoqua l’hilarité générale et une levée de boucliers indignée.
Claudio naturellement se déchaîna et écrivit à Paragot en ces termes :
(…) C’est bien le comble de la stupidité. D’ici quelques années l’Etat confisquera les rochers de Freyr et les gérera à sa façon. Les grimpeurs actifs sont furieux (…) Quelle mentalité indigne de dirigeants d’un club sportif. (…)
Désavoué par l’Assemblée Générale réunie le 7 décembre 1968, le Conseil d’administration dut démissionner.
Suivit alors la période de préparation des élections destinées à mettre en place un nouveau Conseil.
Avec prises de positions, procès d’intentions, manouvres diverses.
Dans son numéro de mars 1969, « Le Pic de Lierre », bulletin de la section du Hainaut, publiait deux articles reflétant les tendances en présence :
De leur côté, les six candidats considérés comme « extrémistes » firent parvenir aux membres la mise au point suivante (qui reflétait également les principes qui sous-tendront la création du G.B.A.) :
La section d’Anvers ne fut pas en reste, adressant également une circulaire à tous les membres du club (voir ci-dessous).
Circulaire qui suscita naturellement une réponse des personnes mises en cause (voir ci-dessous).
Cette « guerre des pitons », où fleurirent les excès en tous genres, des plus drôles aux plus lamentables, et qui débordait largement de la seule question du pitonnage, eut néanmoins des conséquences positives : pour la première fois au sein du Club Alpin Belge, on aborda clairement les questions d’éthique en matière d’escalade, problèmes que par la suite on ne put plus jamais faire semblant d’ignorer.
Et le niveau de la « grimpe » ne cessa dès lors de progresser.
Mais le problème du « dépitonnage sauvage » continua cependant à se poser durant de nombreuses années encore (voir ci-dessous).
NB / Cette « guerre des pitons » marquée par un dépitonnage parfois excessif, fut loin d’être une « histoire belge ». Elle eut lieu un peu partout, dans tous les milieux de l’escalade où, face à un suréquipement des voies, commençaient à vouloir s’imposer les adeptes de l’escalade « libérée ».
Circulaire de la section d’Anvers (version FR traduite du NL)
Circulaire NL de la section d’Anvers
Réponse à la circulaire de la section d’Anvers
Dépitonnage sauvage (Bulletin du CAB, mai 1972)
Contre le dépitonnage sauvage (Bulletin du CAB, février 1978)
Lettre ouverte de Pierre Villany (Bulletin du CAB, décembre 1982)
