Il faut essayer de comprendre l’attitude de Claudio vis-à-vis des écrits de Messner.
Claudio n’était pas, comme la plupart des gens, au pas de course entre le travail et les autres obligations. Quand il recevait une revue ou un livre, il s’y immergeait avec une concentration telle qu’il n’aurait rien remarqué si la maison s’était écroulée. Il épluchait chaque phrase, soupesait le sens de chaque parole et même de la position des virgules. En outre, par son éducation, un mensonge était non seulement un péché grave, mais surtout une honte : la trahison de la Vérité.
À sa place, devant les déclarations de Messner sur son évitement des chutes, j’aurais pensé que celui-ci simplifiait la situation ou considérait n’avoir jamais fait de chute assez significative pour être rapportée, ou bien qu’il désirait insister sur le fait qu’il ne s’était jamais accidenté gravement grâce au fait qu’il avait respecté les normes de sécurité et le matériel homologué par l’UIAA.
Pour Claudio, penser ainsi était impossible : si quelqu’un disait qu’il n’était jamais tombé, cela signifiait vraiment qu’il n’avait jamais fait aucune chute, même pas de cinq centimètres. AUCUNE ! Dans le cas contraire il s’agissait d’un menteur, point final !
Je me souviens de ses discussions avec Almo et l’expression d’indulgence et de tendresse avec laquelle Almo lui répondait :
« Oui, Claudio, tu as raison, mais dans la vie réelle il est impossible d’être exigeant comme tu l’es, même en ayant tout à fait raison… »
Alors, le visage de Claudio se transformait en une expression de douleur, de désespoir, de dégoût impuissant devant la misère humaine…
Dieu sait combien d’autres histoires de ce genre il ruminait tout au long des heures lugubres de ses accès de mauvaise humeur. Et son livre, jamais écrit, en aurait certainement débordé…
Claudio, avec son admirable purisme, son idéalisme à outrance…
Anne Lauwaert