Contestation et évolution (Guy Donnée, mars 1969)

Guy Donnée
« Le Pic de Lierre », mars 1969

« Le trouble général du siècle… résulte de l’incapacité de l’espèce humaine, c’est-à-dire de ses élites dirigeantes. » (Thierry Maulnier)

Nous avons tous lu l’excellent article de notre ami P. Mazeaud dans « La Montagne » d’octobre qui a trait à l’évolution de l’alpinisme et met en relief notre problème actuel du pitonnage à Freyr. Avant de condamner facilement l’esprit contestataire des jeunes, les adultes se doivent de faire la critique du monde qu’ils ont bâti ou laissé s’édifier.

D’abord, il est logique que nos jeunes grimpeurs veuillent réaliser à Freyr ce qui l’a été ailleurs depuis longtemps, ce que nous avons négligé de faire. Il y a une dizaine d’années, quelques amis et moi-même suscitions la réprobation de nos aînés parce que nous plantions des pitons. De cette activité sont toutefois nées quelques-unes des voies les plus marquantes de Freyr et d’ailleurs. Aujourd’hui, une nouvelle génération éveille la même hostilité parce qu’elle enlève des pitons et bouleverse de vieilles habitudes.

L’antidote à cet alpinisme de masse, qu’au secret du cœur la plupart d’entre nous déplorent, ne serait-il pas de viriliser notre sport plutôt que de l’émasculer ? Ce mot « sport » fera sursauter certains. Mais ce problème de pitons est plus une question d’éthique de l’escalade que de gymnastique hebdomadaire.

Devant des abus évidents, les autorités du Club Alpin avaient créé une commission ayant pour but de réglementer le pitonnage. Elles composèrent cet organisme dans un esprit représentatif des diverses tendances s’affrontant. Ce souci, de prime abord logique, enlisa la commission dans le parlementarisme et la stérilité.

Avec un courage digne d’une meilleure cause, quelques responsables pour juguler l’anarchie eurent recours à la répression brutale. Celle-ci souleva la réprobation. On ne sévit pas contre une évolution, on se met à sa tête et on en réglemente la marche.

Mais une critique n’étant valable que si elle est suivie de remèdes, deux solutions se présentent :
– La première est de confier le pitonnage à un commissaire unique. Celui-ci doit non seulement passer en tête toutes les voies du massif qu’il contrôle, pour juger en toute compétence, mais encore bénéficier d’une large expérience des massifs étrangers et détenir un palmarès alpin qui fasse autorité. Un nom nous vient à tous sur les lèvres. Si celui-ci acceptait une aussi lourde responsabilité, il devrait bien sûr bénéficier de l’appui inconditionnel des autorités pour un laps de temps déterminé.
– La seconde est de confier la responsabilité du pitonnage à une commission à tendance unique composée des grimpeurs progressistes les plus marquants. Je suis persuadé que le sérieux de la tâche les hausserait au-dessus de l’anarchie. Car les flambées d’anarchie s’éveillent quand le pouvoir établi refuse de s’adapter.

Chez nos jeunes, il n’y a pas que des guitareux, des guignols maoïstes ou des têtes moisies dans les délires de Marcuse. Le meilleur garant contre la sénilité et le chaos, nos institutions le trouveront dans cette jeunesse à qui il faut faire confiance parce qu’elle est là. Il est vain de chercher si elle a tort ou raison. Elle a ses raisons qui, qu’on le veuille ou non, seront celles de demain.

Guy DONNEE

Samivel (ill. pour « Les Dynastes », 1948)

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