Il y a quelques semaines, Luca Vallata, alpiniste, scientifique, guide de montagne, interviewait notre gardien de Freyr, David Leduc, alpiniste de haut niveau.
Cette interview est parue le 2 septembre dernier sur le site de Planet Mountain (planetmountain.com).
Nous vous en présentons ici la version française, suivie de l’article en italien publié par Planet Mountain.
Entretien avec David Leduc, un fort alpiniste belge qui, chaque année, et sans battage médiatique, grimpe quelques-unes des voies les plus célèbres des Dolomites. Un exemple récent : l’enchaînement en un jour des cinq faces nord des Tre Cime di Lavaredo avec Sébastien Berthe, sur les traces de son compatriote Claudio Barbier.
Un spectre hante les Dolomites : le spectre de David !
En estropiant cette citation importante je voulais seulement m’amuser du fait que l’ami belge David Leduc se pointait aux moments les plus imprévus, mais avec la régularité des saisons, dans les angles les plus isolés des Dolomites Bellunesi.
Un exemple : la voie du Dragon sur le Lagazuoi Nord, pendant un examen du cours de guide il y a environ 5 ans. Mon examinateur était le sage et taciturne Maurizio « Icio » Giarolli.
En plein milieu de la section la plus difficile, Maurizio me demande de faire attention de ne pas faire tomber de cailloux, car « un grimpeur rasta » grimpe notre voie, sans corde. David nous rejoint au relais, je lui dis « bonjour », je ne l’avais plus vu depuis la saison précédente, et comme j’étais un peu gêné par l’éventuelle réaction de mon instructeur, je fais tout de suite les présentations. Maurizio lui envoie un sourire, puis David continue sa route et grimpe devant nous les dernières longueurs.
David Leduc est un grimpeur belge né à Bruxelles, parti à la découverte des traces et du style de son prodigieux compatriote Claude Barbier. Il fréquente les Dolomites lentement et pas à pas depuis une petite dizaine de saisons.
Entretemps il a gravi bon nombre de voies classiques, des classiques dites extrêmes et aussi d’autres vraies « test-pieces », sans publicité et avec bon nombre de compagnons de cordée, la plupart des compatriotes belges.
Pour nous, les locaux, cette « invasion barbare » du plat pays, appelée ainsi par le grimpeur d’Agordo Stefano Santomaso dans son bel article, nous a, à diverses occasions, surtout enseigné l’humilité.
David, quelle est l’origine de ton amour pour les Dolomites ? Quelles sont les raisons qui te portent tous les ans à visiter cette région et à les préférer à d’autres destinations plus à la mode ?
L’amour est toujours le fruit d’un coup de foudre … ou du destin ?! Dans les Dolomites j’ai vécu mes premières expériences en montagne, après 10 années d’escalade sportive, en accompagnant mon ami Erik qui connaissait déjà un peu. J’ai eu peur et j’ai pris plein de claques ! C’était pour moi une véritable découverte.
En plus de la beauté des paysages, j’étais attiré par l’aspect aléatoire et ingrat de certaines escalades et la force mentale qu’elles exigent et entretiennent. Mais le plus important pour moi c’était de pouvoir vivre de belles aventures dans une grande liberté d’organisation et d’interprétation, car justement il y a tellement de parois qui ne sont plus ou qui n’ont jamais été à la mode, donc l’exercice de la créativité et la connexion avec la montagne me semblent plus spontanés et plus profonds.
Ensuite j’aime vivre, voyager et grimper « lentement » et de manière minimaliste (sans internet, sans communication, bien sûr sans avions, gaspiller un minimum d’essence et avec un minimum de matériel et d’influences extérieures) et, en retournant tant de fois là-bas, j’ai pu dénuder les montagnes et faire de ses habitants mes amis. L’alpiniste Stefano Santomaso du village d’Agordo m’accompagnait virtuellement dans chaque ascension et a certainement renforcé ma passion pour les Dolomites.
Le lien entre la Belgique et les Dolomites a des bases solides (et nobles !). Pensons au roi Albert Ier, le seul roi de l’histoire mort pendant un incident d’escalade (en 1934), ou à son fils Léopold, premier ascensionniste du Campanile de Brabant dans le groupe de la Civetta, guidé par Attilio Tissi. Mais le Belge qui a laissé les marques les plus profondes est sans aucun doute Claudio Barbier.
Raconte-nous un peu ton rapport avec ce grimpeur d’Etterbeek ?
Est-ce vrai que tu as répété toutes ses voies ?
C’est un rapport symbolique. Il est né dans la même commune que moi, était aussi mi-poète, Belge bilingue et polyglotte, vivait dans un quartier où j’ai habité, était le plus grand passionné des falaises belges, même des plus petites… et puis il paraît que ce castard trainait la plupart de son temps dans les Dolomites, région qui m’attirait et que je venais de découvrir. Trop de coïncidences, je voulais découvrir la face cachée de ce personnage mystérieux dont très peu de gens aujourd’hui en Belgique connaissent l’histoire.
Je m’intéresse à l’histoire de l’escalade, mais plus encore aux motivations profondes qui poussent certains artistes à la dérive à s’exprimer à travers l’escalade. L’escalade n’est pas un sport mais un art expressionniste. Je ne sais pas ce que Barbier ressentait quand il se trouvait en paroi, mais moi, quand tous les éléments sont réunis, je me sens sur une autre planète. Et je pense que c’était ce que Claudio cherchait, pour échapper à une société incompréhensible.
Et non, je n’ai grimpé que peu de ses voies, à part celles sur les falaises belges, la Via del Drago sur le Lagazuoi Nord et celle sur la Torre d’Alleghe sur la Civetta. Je voulais découvrir son univers, mais pas particulièrement lui courir derrière !
« De tous les peuples de la Gaule, les Belges sont les plus braves » (Jules César, De Bello Gallico).
Pourrais-tu expliquer comment la Belgique continue à produire des alpinistes et grimpeurs sportifs aussi excellents ? Comment réussissent-ils à être si polyvalents ? Je ne crois pas que votre belle tradition est votre unique clé de réussite…
Différents grimpeurs passionnés (Siebe Vanhee, Sébastien Berthe), qui sont allés à l’école sur le beau calcaire belge et ont été inspirés par les « Freyriens » Sean Villanueva et Nicolas Favresse, ont eu un bon écolage grâce au mélange de technicité et de maîtrise mentale qu’exigent les voies sur nos falaises.
En fait, les grimpeurs polyvalents de chez nous sont d’abord devenus forts en escalade sportive, ont même fait de la compétition, et ont ensuite débarqué en montagne et big walls sans aucune expérience, mais avec le bon état d’esprit. Les nouvelles générations sont beaucoup plus au point encore en termes d’entrainement physique.
Mais il faut le dire : le plus grand atout des « champions » belges est d’avoir emmené l’humour, l’autodérision et la musique en montagne.
Mais beaucoup d’autres grimpeurs sportifs comme Muriel Sarkany, Anak Verhoeven, sont arrivés au top mondial aussi grâce aux salles d’escalade et à leur entrainement très rigoureux, où la Belgique était pionnière (voir « Terres Neuves » à Bruxelles, probablement la première salle d’escalade commerciale au monde en 1987).
Quelle est le souvenir dolomitique qui t’évoque le plus de plaisir ? Quel est ton massif préféré ?
Les plus belles parois sont celles où on a ressenti les plus belles émotions ! Mes montagnes préférées sont celles qui entourent la Valle di San Lucano ; les Pale et l’Agner, même si je n’y ai pas beaucoup grimpé. Le plus important pour moi est la connexion.
J’ai adoré découvrir les « Pale di San Lucano » en grimpant le Diedro Casarotto-Radin avec ma compagne Laura, avec un bivouac dans une petite grotte en pleine paroi.
Sur le même sommet, on est un jour montés à 5, je voulais faire découvrir l’escalade dolomitique foireuse aux copains. Avec Christian qui voulait absolument laisser des coinceurs en bas pour avoir de la place dans son sac pour emporter du whisky… On avait déjà l’ivresse donc on a quand même choisi les coinceurs. Nous sommes arrivés au sommet après un push de 23 heures, freiné par des orages, et j’avais le plaisir de chercher l’itinéraire de nuit avec une frontale sans batterie mais avec la lumière de la lune, et moi et les copains totalement sur orbite. Le lendemain au soir, après 6 heures de descente, on a fait la fête ensemble dans la vallée. C’était une belle grande cordée.
Grimper là c’est un voyage ! Mais ce sont des montagnes « cachées », « secrètes », dans le sens où il faut être véritablement passionné avant d’y mettre les pieds, il faut les approcher secrètement et sans clameur.
Les bivouacs au sommet de la Marmolada sans matériel, dont un à la fin septembre avec -10°C, font aussi partie des souvenirs chaleureux.
Et de quelle ascension es-tu le plus fier ?
Je ne suis pas quelqu’un de fier donc je n’en sais rien, mais si je dois te répondre je te dirai que je suis fier « globalement », d’avoir gravi ces murailles immenses et d’y avoir emmené tant de copains en voyage. La Civetta, la Marmolada, l’Agner sont des parois incroyables à gravir, on s’en fout de la voie ou de la difficulté.
La nouvelle de votre enchainement avec Sébastien Berthe des 5 parois nord dans les Tre Cime di Lavaredo est fraîche. Ce projet aussi, sur les traces de Claudio. Comment cela s’est-il passé ? Quel style d’escalade avez-vous adopté ? Comment comparez-vous votre enchainement avec celui de Barbier en 1961 ?
C’est un rêve que j’avais depuis pas mal d’années mais que j’avais déjà presque oublié. Et soudainement je me retrouve avec Sébastien dans les Tre Cime. C’est lui l’étoile montante de l’escalade, toujours en collant rose et prêt à affronter chaque défi ! L’occasion ou jamais !
On s’est bien amusés, on a mis 17 heures de la voiture à la voiture. Au sommet de la Cima Grande on s’est déshabillés pour la bonne cause : une petite manif avec banderole contre la construction des téléphériques ! « La mia via è senza funivia ».
Notre but était de ne pas prendre de risques, on ne voulait pas de record, juste le plaisir de gravir les 5 sommets, un dimanche en pleine saison touristique ! Dans la Cassin et la Comici, on a connecté les longueurs difficiles par 2 ou par 3 et les longueurs faciles en corde tendue mais sans folies. Sur la Punta Frida, Piccolissima et Piccola on a fait surtout de la corde tendue, en faisant relais et changeant le lead quand on n’avait plus assez de matériel de protection.
Ce qu’a fait Barbier en 1961 est un véritable exploit visionnaire, en solitaire et en bottines de l’époque. Ce qu’on a fait aujourd’hui est un bel hommage à Claudio et à la créativité – ceci presque 60 ans après son enchainement.
Parle-nous de ce qui t’occupe en Belgique. Je sais que tu es devenu papa et que tu travailles comme ouvreur de voies dans différentes salles d’escalade du pays et que tu t’occupes de la gestion des falaises de la zone de Freyr, un autre trait d’union avec Barbier !
J’habite dans un joli petit village dans le sud-ouest du pays et en effet j’ai une petite fille d’un an qui grandit dans le calme et proche de la nature. J’ai fait des études en biotechnologie mais depuis 2 ans je travaille à mi-temps pour le Club Alpin Belge pour lequel je m’occupe de Freyr et des autres falaises dans la région, où je rééquipe les voies, je gère les déchets, j’entretiens les sentiers, la forêt, le petit refuge et l’aire de bivouac, etc. Il y a parfois 100 tentes sur la prairie du bivouac de Freyr. Et à côté de ça je suis ouvreur de voies dans les salles d’escalade, je coorganise des compétitions… et je profite de la vie !
Parle-nous de Freyr, que tu appelles l’épicentre de l’univers. Quel air respire-t-on dans l’environnement des grimpeurs locaux ?
Les « Freyriens » passionnés appellent Freyr « l’épicentre de l’univers » comme disait le flûtiste Sean Villanueva. C’est peu connu, mais l’escalade sportive moderne est en partie née en Belgique, notamment grâce à Barbier qui inventait et diffusait le jeu de l’escalade libre sur toutes les falaises, même les toutes petites.
Après, dans les années ’80, principalement Arnould ‘T Kint libérait des voies sportives en Belgique qui étaient parmi les plus dures au monde à l’époque (13 Boulevard du vol, 8a en 1982 ; Shingen et Carabistouilles, 8b+ en 1987).
Les falaises belges sont techniques, rési et bloc sur de petites prises sur un caillou souvent lisse et compact. Traditionnellement, l’équipement est souvent sportif et parfois engagé, ça fait partie du jeu et ça rajoute une dimension. Il y a une ambiance old-school et conviviale, les grimpeurs se connaissent, boivent une bière ensemble après l’escalade, nagent dans le fleuve à « Freyr-beach » quand il fait trop chaud, mangent une frite, se posent autour d’un feu, dorment sur place…
Ce qui est chouette aussi c’est le mélange tous niveaux, ceux qui font des « grandes voies » sur les arêtes et les grandes dalles, d’autres qui viennent vraiment pour l’ambiance, et puis ceux qui font 40 essais dans leur projet. Il y a près de 600 voies de tous niveaux, dont certaines 100 mètres au-dessus du sol. Donc, riposte obligée après toutes les blagues et toute l’ironie à propos de notre plat pays, à chaque fois que je croise un grimpeur français ou espagnol, je lui demande : « Vous avez des falaises là-bas ? ».
Une autre chose qui surprend fortement les grimpeurs italiens est le rapport optimal entre les grimpeurs de pointe et le Club Alpin. On a le sentiment que chez vous cette institution est proche du sport pratiqué, des falaises, des salles et des jeunes. Confirmes-tu cette observation ?
Ne vous faites pas d’illusions, en Belgique les relations entre les différents acteurs et les fédérations d’escalade sont compliquées comme partout, mais les fédérations tâchent de s’adapter au marché de l’escalade qui évolue très vite.
Ce qui est unique en Belgique, c’est que les falaises sont louées, équipées et entretenues par les fédérations : le Club Alpin Belge et la KBF (version flamande). Sans les démarches des fédérations, il serait actuellement presque impossible de grimper sur la plupart des sites naturels.
Le Club Alpin Belge participe aussi à l’organisation de compétitions, la logistique des athlètes en compétitions internationales, le développement de différents outils de formation et la transmission des valeurs des sports en extérieur et du respect de la nature.
En tout cas il y a beaucoup de motivation et aussi de la jeunesse au sein des fédérations, et moi aussi je bosse avec eux sur de chouettes projets et j’essaye d’impliquer les jeunes et moins jeunes grimpeurs passionnés et de créer une nouvelle dynamique.
En tant qu’observateur externe, mais bon connaisseur de nos montagnes, pourrais-tu nous donner une vue d’ensemble sur l’escalade dans nos « Monti Pallidi » ? Que penses-tu du style local ? Quelles différences vois-tu en termes de caractéristiques et de fréquentation des différents massifs des Dolomites ? De l’apparition de « spit » dans différentes voies classiques et dans certaines nouvelles voies ?
Si on veut grimper dans les Dolomites, il faut aimer l’aventure. L’escalade est souvent délicate dans le sens où il faut éviter de tomber, et les protections sont souvent relatives et parfois aléatoires. C’est un jeu complexe ! La recherche de l’itinéraire aussi, les descentes parfois laborieuses, le rocher parfois béton mais souvent carton… C’est très excitant !
Ce sont des montagnes oubliées, et j’en suis heureux, à part quelques parois comme les Tre Cime, Sella ou les alentours de Cortina où les gens parcourent les voies classiques. Puis il y a des parois incroyables comme la Civetta, qui était « la paroi des parois » dans les années ’60, où plus personne ne grimpe.
Dans le sud les montagnes sont plus sauvages et les grimpeurs plus sauvages, le style d’ouverture et d’équipement est resté plus puriste, les informations sont moins précises. Comme il faut, quoi ! En tout cas moi j’aime bien.
Grimper c’est sortir de la société, de la standardisation. Normer l’escalade c’est la détruire ! Je pense que certains styles doivent être absolument préservés. On grimpe pour se compliquer la vie pour ainsi se rendre la vie plus facile. Il faut pouvoir sortir de son fauteuil ! Si on prend une foreuse pour spitter en montagne, pourquoi ne pas prendre son fauteuil ?
Par exemple pour l’ouverture de « Spazzacamino » avec Siebe, on avait emporté quelques spit et un tamponnoir, mais avec l’idéal chimérique de ne pas les utiliser. On ne les a pas placés, et on a préféré renoncer à notre objectif principal et traverser à droite – malgré la préparation et les grands efforts – que « d’emmener notre fauteuil » et de « réussir à n’importe quel prix ».
Mais même dans les falaises sportives classiques, l’engagement fait parfois partie du sport. Pour ouvrir ou même pour répéter une voie, il faut démontrer son savoir-faire, sa motivation, sa préparation et sa passion. Dans tous les cas, je suis du côté des nombreux grimpeurs qui souhaitent préserver leur terrain de jeu, protéger la culture de l’escalade et observer de loin ce serpent qui se mord la queue. L’art et la passion ne sont pas à vendre.
Interview par
LUCA VALLATA
Brève sélection des réalisations les plus importantes de David dans les Dolomites :
- Enchainement dans la journée des 5 faces nord des Tre Cime di Lavaredo (2020), avec Sébastien Berthe. Cima Ovest, voie Cassin : 3 h 14 ; Cima Grande, voie Comici: 3 h 05 ; Punta Frida, voie Dülfer : 46 min ; Cima Piccola, voie Innerkofler : 43 min ; Cima Piccolissima, voie Preuss : 1 h 05.
- Ouverture de la voie “Spazzacamino” (1000m – 7a max.) sur la Terza Pala di San Lucano (2019), avec Siebe Vanhee.
- Voie Philipp-Barbier,Torre d’Alleghe (première en libre et à vue, 6c) avec Laura Van Bruyssel et Stefano Santomaso.
- Voie Franceschi-Bellodis, Torre d’Alleghe (première en libre et à vue par le partenaire de cordée Siebe Vanhee, 7a+/b max sur rocher pourri), avec Laura van Bruyssel, Tim De Dobbeleer et Siebe Vanhee.
- Voie Cattedrale e Specchio di Sara, Marmolada (2016), avec Siebe.
- Kein Rest von Sehnsucht, Civetta (2017), avec Siebe.
- Voie Attraverso il pesce, Marmolada (2015), avec Marco Gnaccarini.
- Piussi-Redaelli , Torre Trieste (2016), avec Christian Rolfs.
- Olimpo, Marmolada (2015), avec Tim De Dobbeleer.
- Diedro Casarotto Radin, avec Laura Van Bruyssel et Diedro Sud, Spiz di Lagunaz (2017), avec Reyn Vanderspeeten.
- Spigolo Oggioni , Spiz Nord Agner (2018), avec Laura Van Bruyssel.
- Pisoni-Stenico, Torre Del Lago, Via del Drago, Lagazuoi Nord (solitaire).
David Leduc, un alpinista belga in Dolomiti
02.09.2020
Intervista a David Leduc, forte alpinista belga che ogni anno, e senza grosso clamore, sale alcune delle vie più rinomate delle Dolomiti. Un esempio recente: il concatenamento in giornata delle 5 pareti nord delle Tre Cime di Lavaredo insieme Sébastien Berthe, sulle orme del connazionale Claudio Barbier.
« Uno spettro si aggira per le Dolomiti: lo spettro di David! » Storpiando citazioni importanti ero solito scherzare sul fatto che l’amico belga David Leduc apparisse nei momenti più inaspettati, ma con costanza di stagione in stagione, negli angoli più remoti delle Dolomiti bellunesi.
Un esempio esplicativo: via del Drago, Lagazuoi Nord, mio esame di roccia del Corso Guide, circa cinque anni fa, ad esaminarmi c’è il saggio e taciturno Maurizio “Icio” Giarolli. Nel bel mezzo della sezione più impegnativa del percorso Icio mi avvisa di fare attenzione e di non far cadere sassi, un arrampicatore rasta sta salendo slegato la nostra via! David ci raggiunge in sosta, gli do il « bonjour », non lo vedevo dalla stagione precedente, e, un po’ preoccupato per la reazione dell’istruttore, gli presento il mio compagno di cordata. Icio ricambia cordialmente con un ghigno di sportivo compiacimento, dopodichè David ci supera e sale davanti a noi le lunghezze finali.
David Leduc è un arrampicatore belga nativo di Bruxelles; seguendo le orme, e lo stile non convenzionale, del suo portentoso connazionale Claudio Barbier frequenta le Dolomiti da circa una decina di stagioni estive senza soluzione di continuità. Nel corso degli anni ha ripetuto classiche, classiche estreme e veri e propri test-pieces, senza clamore e con compagni di cordata diversi, molto spesso connazionali.
A noi local queste « calate dei barbari », come le chiama l’agordino Stefano Santomaso in un suo interessantissimo articolo, dalle pianure del nord prive di roccia, hanno, in varie occasioni, insegnato l’umiltà.
David, quale è l’origine del tuo amore per le Dolomiti? Quali sono le ragioni che ti portano ogni anno a visitare queste zone e a preferirle ad altre destinazioni europee più alla moda ?
L’amore è sempre il risultato di un colpo di fulmine… o del destino?! Nelle Dolomiti ho fatto le mie prime esperienze in montagna, dopo 10 anni di arrampicata sportiva, accompagnando il mio amico Erik, che già le conosceva un po’. Mi sono spaventato e ho preso molti schiaffi! È stata una vera scoperta per me.
Oltre alla bellezza dei paesaggi, sono stato attratto dalla aleatorietà e severità di certe salite e dalla preparazione mentale che richiedono. Ma la cosa più importante per me era avere la possibilità di vivere belle avventure con grande libertà di organizzazione e interpretazione. Vi sono in Dolomiti moltissime pareti che non sono più o non sono mai state alla moda, in questi luoghi l’esercizio della creatività e il legame con la montagna mi sembrano più spontanei e più profondi. Poi mi piace vivere, viaggiare e arrampicarmi « lentamente » e in modo minimalista (senza internet, senza comunicazione, ovviamente senza aerei, sprecando il meno di benzina possibile e con quasi nulle influenze materiali ed esterne). Visitando quelle montagne per molte stagioni consecutive ho potuto conoscerle e fare amicizia con i loro abitanti. L’alpinista Stefano Santomaso di Agordo è stato il mio cicerone e sicuramente ha rafforzato la mia passione per le Dolomiti.
I rapporti tra il Belgio e le Dolomiti poggiano su solide (e nobili!) basi. Basti pensare a re Alberto, unico regnante della storia morto durante un incidente d’arrampicata nel 1934 o al figlio Leopoldo, primo salitore del Campanile di Brabante nel gruppo della Civetta assieme ad Attilio Tissi. Ma il belga che ha lasciato sulle Dolomiti il segno più profondo e senza dubbio Claudio Barbier. Ci racconteresti un po’ del tuo rapporto con l’arrampicatore di Etterbeek? E’ vero che hai ripetuto tutte le sue vie (oltre alla via del Drago…)?
È una relazione simbolica. È nato nella mia stessa città, era anche un poeta belga bilingue e poliglotta, viveva nel quartiere in cui vivevo io, era il più grande fan delle falesie belghe, anche delle più piccole… e poi sembra che il maledetto trascorresse la maggior parte del suo tempo nelle Dolomiti, una regione che mi ha attratto e che avevo appena scoperto. Troppe coincidenze, volevo scoprire il lato nascosto di questo misterioso personaggio di cui oggi pochissime persone in Belgio conoscono la storia.
Sono molto appassionato della storia dell’arrampicata su roccia, ad interessarmi sono soprattutto le motivazioni profonde che spingono alcuni artisti alla deriva ad esprimersi attraverso l’alpinismo. L’arrampicata non è uno sport ma un’arte espressionista. Non so cosa provasse Barbier quando era in parete, ma io, quando tutti gli elementi sono insieme, mi sento su un altro pianeta. E credo che fosse quello che cercava Claudio, sfuggire a una società incomprensibile. E no, ho salito solo alcune delle sue vie, oltre a quelle sulle falesie belghe, la Via del Drago al Lagazuoi Nord e quella alla Torre d’Alleghe al Civetta. Volevo scoprire il suo universo, ma non inseguirlo!
Tra i vari popoli [che abitano la Gallia] i più forti sono i belgi. De bello gallico, C.G. Cesare.
Ci spiegheresti come mai il Belgio continui a produrre alpinisti ed arrampicatori sportivi di eccelsa qualità? Come riuscite ad essere così polivalenti? Con collegamento alla risposta precedente, non credo basti dire che avete una sana tradizione alle spalle…
Diversi arrampicatori appassionati (Siebe Vanhee, Sébastien Berthe), che sono andati a scuola sul bellissimo calcare belga e si sono ispirati ai “Freyriens” Sean Villanueva e Nicolas Favresse, hanno avuto una buona educazione grazie al misto di tecnicità e maestria mentale richiesta dalle vie delle nostre falesie. I nostri alpinisti sono in un primo momento diventati forti nell’arrampicata sportiva sulle pareti di casa e poi si sono avvicinati alla montagna e alle big wall senza esperienza, ma con il giusto stato d’animo. Le nuove generazioni sono molto più avanzate in termini di preparazione fisica. Ma va detto: la più grande ricchezza dei « campioni » belgi è l’aver portato in montagna l’umorismo, l’autoironia e la musica.
Ma molti altri arrampicatori sportivi come Muriel Sarkany, Anak Verhoeven hanno anche raggiunto la vetta mondiale grazie alle sale di arrampicata, ambito nel quale il Belgio è stato un pioniere (vedi Terres Neuves a Bruxelles, probabilmente la prima palestra di arrampicata commerciale al mondo nel 1987).
Quale è la memoria dolomitica che ricordi con maggior piacere? E il tuo gruppo montuoso preferito ?
Le pareti più belle sono quelle dove abbiamo provato le emozioni più belle! Le mie montagne preferite sono quelle che circondano la Valle di San Lucano; le Pale e l’Agner, anche se lì non ho scalato molto. Mi sono avvicinato alle Pale di San Lucano salendo il Diedro Casarotto-Radin con la mia compagna Laura, con un bivacco in una piccola grotta in mezzo alla parete. Sulla stessa vetta, un giorno di qualche anno dopo siamo saliti in cinque, volevo far conoscere ai miei amici l’arrampicata in Dolomiti. Christian voleva assolutamente lasciare dei friend alla base della parete per lasciare spazio nello zaino ad una bottiglia di whisky… Ma eravamo già mezzi sbronzi, perciò optammo comunque per i friend.
Siamo arrivati in cima dopo 23 ore di salita, rallentati dai temporali e dal piacere di cercare la via di salita al chiaro di luna, dato che la batteria della frontale era esaurita. Il giorno successivo, in serata, dopo 6 ore di discesa, abbiamo festeggiato in valle tutti assieme. Era una gran bella cordata. Arrampicare là è un viaggio! Sono montagne « nascoste », « segrete », nel senso che bisogna essere dei veri appassionati per poterci mettere piede. Fanno parte dei caldi ricordi anche i bivacchi in cima alla Marmolada senza sacco a pelo, di cui uno a fine settembre con temperature di quasi -10°.
E quale invece la salita della quale vai più fiero ?
Non sono una persona orgogliosa quindi non saprei, ma se devo risponderti ti dirò che sono orgoglioso « globalmente », di aver scalato queste immense pareti e di aver portato lì tanti compagni di viaggio. Il Civetta, la Marmolada, l’Agner sono pareti incredibili da scalare, indipendentemente dal percorso scelto o dalla sua difficoltà.
E’ fresca la notizia dello straordinario concatenamento delle 5 vie in Lavaredo da te effettuato assieme al connazionale Sébastien Berthe, impresa, anche questa, sulle orme di Claudio. Come è andata? Che stile di salita avete adottato? Come confronti il vostro concatenamento con quello di Barbier del 1961 ?
Era un sogno che avevo in testa da parecchi anni ma che avevo ormai già quasi dimenticato… e all’improvviso mi ritrovo con Sébastien Berthe sulle Tre Cime! Seb è un astro nascente dell’arrampicata su roccia, sempre in calzamaglia rosa e pronto ad affrontare qualsiasi sfida! Ora o mai più! Ci siamo divertiti molto, ci sono volute 17 ore da macchina a macchina. In cima alla Cima Grande ci siamo spogliati per una buona causa: una piccola manifestazione con uno striscione contro la costruzione delle funivie! « La mia via è senza funivia ». Il nostro obiettivo era non correre rischi, non volevamo un record, solo il piacere di scalare le 5 vette, di domenica, durante la stagione turistica! Sulla Cassin e sulla Comici abbiamo collegato 2-3 lunghezze difficili in un unico tiro e sulle lunghezze facili abbiamo scalato in conserva, ma senza correre. Su Punta Frida, Piccolissima e Piccola abbiamo fatto soprattutto conserva, alternandoci al comando quando il primo ormai era a corto di materiale. Quello che Barbier ha fatto nel 1961 è stata una vera impresa visionaria, da solo e con gli scarponi. Quello che abbiamo fatto oggi è un grande tributo a Claudio e alla creatività.
Ci parleresti un po’ di cosa ti occupi in Belgio? So che da poco sei diventato papà e che lavori come tracciatore itinerante in varie palestre del Belgio e che ti occupi della manutenzione della falesia del Freyr, un altro trait d’union con Barbier!
Vivo in un grazioso paesino nel sud-ovest del paese e infatti ho una figlia di un anno che sta crescendo in pace e vicino alla natura. Ho studiato biotecnologia ma da 2 anni lavoro part-time per il Club Alpino Belga per il quale mi occupo del Freyr e di altre falesie della regione, ho in carico la manutenzione delle vie, il mantenimento dei sentieri, la cura del bosco, del piccolo rifugio, dell’area da campeggio ecc. A volte si possono trovare anche 100 tende sul prato del bivacco di Freyr. Inoltre, lavoro come tracciatore nelle palestre, co-organizzo gare… e mi godo la vita!
Freyr, « épicentre de l’univers », come lo chiami tu. Che aria si respira nell’ambiente degli arrampicatori locali ?
Gli appassionati « Freyriani » chiamano Freyr « l’epicentro dell’universo », appellativo coniato dal flautista Sean Villanueva. Non è risaputo da molti, ma l’arrampicata sportiva moderna è nata in parte anche in Belgio, in particolare grazie a Barbier che ha inventato e diffuso il gioco del free climbing su tutte le falesie, anche quelle piccolissime. In seguito, negli anni ’80, soprattutto Arnould ‘T Kint, liberò percorsi sportivi in Belgio che all’epoca erano tra i più duri al mondo (13 Boulevard du vol 8a nel 1982; Shingen e Carabistouilles 8b+ nel 1987). Le falesie belghe sono tecniche, vie di resistenza con blocchi su piccole prese con roccia sovente liscia e compatta. Spesso la spittatura è un po’ « allegra », fa parte del gioco ed aggiunge un’ulteriore dimensione alla cosa. C’è un’atmosfera old-school e amichevole, gli alpinisti si conoscono, bevono una birra insieme dopo aver scalato, nuotano nel fiume a « Freyr-beach » quando fa troppo caldo, mangiano patatine fritte, siedono attorno al fuoco, dormono sul posto…
Quello che è fantastico è anche la presenza di arrampicatori di tutte le età, c’è chi fa vie di più tiri, le « grandes voies », su creste o grandi placche, altri che vengono solamente per l’atmosfera, altri ancora che stanno facendo il quarantesimo tenta al progetto. Ci sono quasi 600 tiri di tutti i livelli, alcuni dei quali a circa 100 metri dal suolo. Quindi, la risposta automatica per vari arrampicatori francesi e spagnoli che ironizzano su noi, arrampicatori di pianura, è: « Avete anche voi delle falesie laggiù? »,
Altra cosa che sorprende molto un arrampicatore italiano è l’ottimo rapporto tra arrampicatori di punta e Club Alpino, nel vostro caso questo è sentito come un’istituzione vicina all’alpinismo praticato, alle falesie, alle palestre e ai giovani. Confermi questa osservazione ?
Non fatevi ingannare, in Belgio i rapporti tra i diversi attori e tra le federazioni di arrampicata sono complicati come ovunque, ma le federazioni stanno cercando di adattarsi al mercato dell’arrampicata, il quale sta cambiando molto velocemente. Ciò che è unico in Belgio è che le falesie sono affittate, attrezzate e mantenute dalle federazioni: il Club alpino belga e il KBF (versione fiamminga). Senza la presenza delle federazioni, sarebbe quasi impossibile accedere alla maggior parte dei siti naturali.
Il Club Alpino Belga partecipa anche all’organizzazione di gare, alla logistica degli atleti nelle competizioni internazionali, allo sviluppo di vari siti di formazione e alla trasmissione dei valori degli sport all’aria aperta e del rispetto della natura. In ogni caso c’è molta motivazione, anche nei giovani all’interno delle federazioni.
Da osservatore esterno, ma da buon conoscitore delle nostre montagne, ci daresti un parere d’insieme sull’arrampicata sui Monti Pallidi? Cosa ne pensi dello stile locale? Delle differenze quanto a caratteristiche e frequentazione delle varie sottoaree delle Dolomiti? Dell’apparizione degli spit su varie classiche e su alcune vie nuove ?
Se vuoi scalare le Dolomiti devi amare l’avventura. L’arrampicata è spesso complicata, nel senso che bisogna evitare di cadere e le protezioni sono spesso poco affidabili. È un gioco complesso! Anche la ricerca della via, le discese a volte faticose, la roccia a volte di cemento ma spesso di cartone… è molto emozionante! Appena al di fuori delle aree più frequentate, come quelle delle Tre Cime, del Sella o di Cortina, si ha a che fare in genere con montagne dimenticate. Ci sono pareti incredibili come il Civetta, « la parete delle pareti » negli anni Sessanta, dove pochi salgono ancora. A sud le montagne sono più selvagge e gli alpinisti più selvaggi, lo stile di apertura e di attrezzatura è rimasto più purista, le informazioni meno precise. Come ci vuole! In ogni caso come piace a me!
Scalare è uscire dalla società e dalla standardizzazione. Normalizzare la scalata significa distruggerla! Penso che certi stili debbano essere assolutamente preservati. Scaliamo per complicarci la vita per renderla così più facile. Bisogna alzarsi dalla propria poltona! Portare con se il trapano per spittare in montagna è come portarsi dietro la poltrona di casa. Un esempio, per l’apertura di Spazzacamino con Siebe Vanhee, abbiamo portato con noi qualche spit e un perforatore a mano, ma con l’ideale chimerico di non usarli. Non li abbiamo usati e abbiamo preferito rinunciare al nostro obiettivo principale e attraversare a destra, nonostante la preparazione e i grandi sforzi, piuttosto che « portarci la poltrona » e « riuscire ad ogni costo ».
Ma anche sulle falesie sportive classiche, l’impegno mentale a volte fa parte dello sport. Per aprire o anche solo per ripetere una via, devi dimostrare il tuo saper fare, la tua motivazione, la tua preparazione e la tua passione. In ogni caso, sono dalla parte dei tanti alpinisti che vogliono preservare il loro terreno di gioco, proteggere la cultura dell’arrampicata e osservare da lontano questo serpente che si morde la coda. Arte e passione non sono in vendita.
Intervista di Luca Vallata. Un ringraziamento a Davide Cassol per la traduzione dal francese.
BREVE ELENCO DELLE REALIZZAZIONI DI MAGGIORE SPESSORE NELLE DOLOMITI
Concatenamento in giornata delle 5 pareti nord delle Tre Cime di Lavaredo (2020). Cassin: 3h14, Comici: 3h05, Dülfer: 46min, Innerkofler: 43min, Preuss: 1h05
Spazzacamino (1000m – 7a) – Terza Pala di San Lucano (2019), via nuova
Philipp – Barbier – Torre d’Alleghe (prima libera a vista, fino al 6c)
Franceschi – Bellodis – Torre d’Alleghe (prima libera (a vista) da parte del socio Siebe Vanhee, fino al 7b su roccia marcia)
Via Cattedrale e Specchio di Sara – Marmolada (2016); Kein Rest von Sehnsucht – Civetta (2017);
Via attraverso il pesce – Marmolada (2015)
Piussi – Redaelli – Torre Trieste (2016)
Olimpo – Marmolada (2015), Diedro Casarotto Radin e Diedro Sud – Spiz di Lagunaz (2017), Spigolo Oggioni – Spiz Nord Agner (2018)
Pisoni-Stenico – Torre Del Lago + Via del Drago – Lagazuoi Nord (solo).
Planetmountain.com
2-09-2020