L’ancrage a lâché, Claudio Barbier est tombé. Une chute d’environ 40 mètres, mortelle. Telle est la version officielle de l’accident.
Accident, vraiment ?
Nous commencerons notre analyse par un extrait de La Voie du Dragon d’Anne Lauwaert, manuscrit publié sur internet (date de copie : 29 janvier 2001). Selon ce récit, ce serait en effet Anne Lauwaert qui, dans la nuit du 27 au 28 mai 1977, a découvert le corps de Claudio.
« Les rayons de ma lampe de poche firent briller l’acier des échelles de spéléo que Claudio employait pour nettoyer les rochers en partant du haut : il accrochait ces échelles puis descendait et progressivement arrachait les touffes d’herbe et faisait tomber les blocs instables.
Je suivis la longue échelle de spéléo et à l’autre bout… Claudio était là. Il était assuré à l’échelle avec son habituelle sangle rouge, il avait aussi sa brosse et quelques mousquetons. Sa montre marquait 4h10.
[…]
Le jour suivant sa mort, je retournai inspecter les lieux pour essayer de comprendre.
L’échelle de spéléo terminait avec ses deux mousquetons unis et fermés comme s’ils avaient été attachés à un ancrage. Je ne trouvai ni cordelles, ni sangles, ni clous, ni aucune trace d’un autre élément qui se fut brisé.
Au sommet des rochers, au-delà du sentier, il y avait un vieux chêne à la base duquel manquait de la terre comme si une racine avait été arrachée. Il était donc possible que Claudio aie attaché l’échelle à cette racine qui paraissait solide… et qui avait cédé au moment où il l’avait chargée de tout son poids.
J’expliquai mes déductions à la mère de Claudio. Elle répondit que depuis des générations leurs familles faisaient le commerce du bois, c’était donc comme si les arbres s’étaient vengés… »
Quelles étaient en fait, pour Claudio Barbier, les possibilités d’ancrage au sommet de la falaise ?
Le premier point d’ancrage possible et sûr est constitué par une balustrade métallique qui se trouve au sommet des rochers, près du bord de la falaise. Cette balustrade y a été placée pour sécuriser un sentier forestier qui longe le sommet des rochers. Haute de 105 cm, elle est longue de 7,40 m, avec cinq montants fixés dans le sol et une traverse à mi-hauteur. Du solide !
Le premier montant de la balustrade se trouve à l’aplomb de la dalle où Claudio Barbier comptait ouvrir de nouvelles voies.
Cette balustrade est toujours en place en 2018.
Un deuxième point d’ancrage possible et sûr est constitué par un arbre : un charme, solidement enraciné. Il est situé à 210 cm de l’extrémité de la balustrade, près du bord de la falaise, à l’aplomb de la dalle.
Ce charme, visible sur une photo prise en 1977 au lendemain de la chute mortelle de Claudio, est toujours bien là aujourd’hui. Toujours aussi fiable.
Ces deux points d’ancrage pouvaient être utilisés isolément ou ensemble pour un ancrage double.
Et, comme l’a écrit Claudio : « Deux précautions valent mieux qu’une ! » (Bulletin mensuel du C.A.B. – Section du Brabant, juin 1967).
L’arbre que mentionne Anne Lauwaert n’est pas un vieux chêne, mais un vieux tilleul. Son erreur s’explique par une particularité du tilleul : lorsqu’il est âgé, son écorce peut prendre un aspect aussi crevassé que celle d’un chêne.
Cet arbre est toujours là aujourd’hui, son âge étant avéré par l’aspect de son écorce et le niveau de croissance de ses multi-troncs.
Son enracinement, profond, ne présente aucune racine superficielle.
Si Claudio Barbier avait voulu utiliser cet arbre pour son ancrage, il aurait dû utiliser une sangle ou une cordelette : on l’imagine mal creuser la terre pour aller mousquetonner directement une racine !
Mais cette hypothèse d’ancrage n’est pas vraisemblable : l’arbre en question n’est pas à l’aplomb de la dalle et se trouve à 3,50 m de distance du bord de la falaise, dont il est séparé par la balustrade.
Qu’un peu de terre ait été manquante au niveau des racines peut s’expliquer par l’activité d’un rongeur.
Cette hypothèse étant écartée, il ne reste que deux possibilités d’ancrage.
L’utilisation du charme nécessitait l’emploi d’une sangle ou d’une cordelette.
L’utilisation de la balustrade aurait peut-être pu se faire en mousquetonnant directement le montant de la balustrade (nous ne connaissons pas la largeur d’ouverture des mousquetons auxquels était fixée l’échelle de spéléo). Mais dans cette hypothèse, il eût fallu une rupture de la balustrade pour provoquer la chute ; or la balustrade était intacte. Cette hypothèse de mousquetonnage direct à la balustrade doit donc être écartée.
L’hypothèse d’une ouverture accidentelle des mousquetons doit également être rejetée : attachés à l’échelle de spéléo, ils ont été retrouvés « unis et fermés comme s’ils avaient été attachés à un ancrage ».
En conclusion :
Il existait deux points d’ancrage possibles, faciles, présentant toutes les garanties de sécurité. Ils nécessitaient tous deux l’emploi d’une sangle ou d’une cordelette. Voire de deux sangles ou cordelettes si les points d’ancrage avaient été couplés.
Dès lors, une chute accidentelle n’aurait pu être causée que par l’ouverture d’une sangle (un nœud mal fait, par exemple) ou la rupture d’une cordelette.
Mais, dans ce contexte, on aurait dû retrouver ladite sangle ou cordelette.
Or ce ne fut pas le cas : après avoir retrouvé Claudio « assuré à l’échelle avec son habituelle sangle rouge » – ce qui prouve qu’il était soucieux de sa sécurité – on n’a pas retrouvé la (ou les) sangle(s) ou cordelette(s) de son ancrage, malgré des recherches minutieuses.
Cette disparition n’a pu se faire sans l’intervention d’un tiers.
Car, même si l’on était à la veille de la Pentecôte, ce n’est pas le Saint-Esprit qui a pu la (ou les) faire s’envoler…
Note complémentaire :
Se pourrait-il que la chute de Claudio Barbier n’ait pas été due à une rupture de son ancrage, mais tout simplement à une perte d’équilibre alors qu’il se trouvait, non assuré, au sommet de la falaise ?
Cette chute aurait donc pu se produire alors qu’il était occupé à installer son échelle, ou à la désinstaller.
Premier élément à prendre en considération : la présence de la balustrade au sommet de la falaise. Imaginons que Claudio Barbier franchisse celle-ci, qu’il déroule son échelle sans s’être assuré à la balustrade, qu’il perde l’équilibre et chute.
Comment expliquer alors que, ainsi qu’il a été constaté lorsque l’on a trouvé son corps, « il était assuré à l’échelle avec son habituelle sangle rouge ». Il ne pouvait établir cet assurage en se mousquetonnant à une échelle non encore déroulée ! Au contraire, il ne pouvait le faire qu’après avoir fixé l’échelle à un point d’ancrage, l’avoir déroulée, et s’y être installé.
L’accident se serait-il produit lorsqu’il avait terminé, au moment où il a voulu réenrouler son échelle ?
Pour ce faire, le plus simple était d’opérer depuis le sentier, protégé par la balustrade, qui pouvait en plus faciliter l’opération. Mais soit, imaginons que, mal inspiré (!), Claudio Barbier ait entamé cette manœuvre au bord du vide, dos à la balustrade. Pour réenrouler l’échelle, il détache celle-ci de la sangle – ou des sangles – qui constituai(en)t son ancrage. C’est à ce moment qu’il chute.
Mais… Dans cette hypothèse, la (ou les) sangle(s) en question auraient été retrouvées, soit en haut de la falaise, soit au pied de celle-ci. Or ce ne fut pas le cas.
Et s’il avait mousquetonné son échelle directement à la balustrade, sans utiliser de sangle ?
Dans ce cas, les deux mousquetons de l’échelle n’auraient pas été retrouvés « unis et fermés comme s’ils avaient été attachés à un ancrage ».
Enfin, en toute hypothèse, avant d’enrouler son échelle, Claudio Barbier aurait d’abord dû défaire l’assurage qui le reliait à son échelle. Or il fut constaté, à la découverte du corps, que cet assurage était toujours en place.
La perte d’équilibre en haut des rochers ne peut donc être retenue comme hypothèse.