Durant le rassemblement de 1965 à l’ENSA, Lionel Terray est venu me chercher au mazot du Bois des Praz où je passais l’été en compagnie de ma mère. « Tu te prépares, nous allons avec Claudio Barbier et Jean Bourgeois au Mont Blanc, en commençant par la Gugliermina ! »
Pour un gamin de 20 ans la proposition est lourde, très lourde, mais fabuleuse, les topos Vallot défilent dans ma tête : Gugliermina et Peuterey me sont bien connus (dans ma Normandie natale, je les relis sans cesse). Ma mère hésitante, et Lionel : « Je l’emmène ! »
Dans la 403 noire, un très, très rapide aller à Chamonix et l’ENSA, et le gamin rencontre LE grimpeur des Dolomites! Magique !!! Claudio, 27 ans et un palmarès époustouflant ! Le sprinteur des Tre Cime…!
Puis le Docteur Guy de Haynin nous emmène en Italie. Beau temps.
Montée à Gamba, Lionel décide : « Demain, je vais avec Claudio, Jean avec François ». Claudio est silencieux, parle peu. J’observe. Dîner. Couchage tôt. Devant le bruit constant, Lionel fait un bond, remet très sèchement quelques bavards à leur place, et le plus grand calme et silence règnent alors.
Départ 2 h 15, le temps n’est pas fameux. Col de l’Innominata, les cordées se forment. Sur le glacier (nous y sommes passés, Lionel, son client et moi, il y a deux ans pour une tentative à la Peuterey), Lionel veille sur nous. Claudio, qui garde un mauvais souvenir du Chardonnet, attend le rocher avec impatience.
6 h 15, pied de la face, le temps se détériore doucement. Nous gravissons trois longueurs, où je regarde avec admiration Claudio évoluer, mais la neige commence à tomber, et Lionel décide de faire demi-tour. Nous sommes tous déçus.
Retour, quelques fleurs artificielles au pied du col, là où est mort Andrea Oggioni dans les bras de Pierre Mazeaud. Refuge Gamba. Fin de deux journées intenses.
François Lespinasse