Durant plusieurs années, Claudio Barbier a tenu, dans le Bulletin du Club Alpin Belge, la « CHRONIQUE DES ROCHERS BELGES » ainsi que la « CHRONIQUE ALPINE ». Nous en publions ici quelques échantillons.
1961 – « Tre Cime di Lavaredo » (Bulletin du C.A.B., avril)
Plusieurs de nos camarades ayant l’intention de se rendre dans les Dolomites cette année, nous croyons utile de fournir ici quelques renseignements sur un massif d’accès facile et où un grimpeur d’école s’adaptera assez vite.
Les difficultés techniques ne présenteront guère d’obstacles pour des grimpeurs rompus aux finesses d’escalade de Freyr. En revanche, l’exposition est souvent très grande et le pitonnage se révèle généralement difficile ; ainsi l’on préfèrera souvent passer sans piton un passage délicat, pour éviter la
fatigue de le planter.
Bibliographie
Il n’existe aucun guide en langue française. Il existe un guide italien (BERTI) et un guide allemand (LANGES). On trouve facilement à les emprunter dans les refuges.
Refuges et accès
La quasi-totalité des refuges des Dolomites sont gardés et offrent des repas à des prix raisonnables. Il est ainsi loisible de monter en refuge avec un bagage modeste et d’y séjourner pendant plusieurs semaines d’affilée, sans descendre dans la vallée. Cela est particulièrement agréable dans le massif de Lavaredo, où le ravitaillement est difficile.
Les Tre Cime sont situés dans le nord-est des Dolomites, entre Dobbiaco et Cortina d’Ampezzo. L’accès le plus facile s’effectue par Misurina, localité composée quasi exclusivement d’hôtels (pas de magasins d’alimentation). Une route empierrée, longue de 8 km et présentant quelques passages raides, conduit au refuge Auronzo, situé à l’extrémité méridionale du massif. En saison existe un service régulier d’autobus, qui effectue le trajet plusieurs fois par jour. A pied, en utilisant les raccourcis, il faut compter 2 h à 2 h 30 jusqu’au refuge Auronzo.
Du refuge Auronzo, une route carrossable mène au refuge Lavaredo (à pied 40 minutes). On poursuit à pied jusqu’à la Forcella Lavaredo et on continue dans la même direction jusqu’au refuge Locatelli (45 min.). On peut également atteindre le refuge Locatelli depuis Campo Fiscalino (bus depuis Dobbiaco) en 2 h 30. Les autres voies d’accès (depuis Auronzo ou depuis Landro) ne sont pas à conseiller.
Caractéristiques des refuges
Refuge Auronzo
On y arrive sans fatigue, en autobus. En pleine saison, trafic automobile assez important. Le refuge a les dimensions et l’ambiance d’un hôtel et est peuplé principalement de touristes. Les départs des voies les plus intéressantes sont éloignés.
Refuge Lavaredo
Accessible en voiture. En pleine saison, nombreux touristes. Des trois refuges, c’est celui situé le plus près des beaux itinéraires. Il est généralement fréquenté par les grimpeurs italiens, particulièrement par les Ecureuils de Cortina. Près du refuge, emplacements de camping.
Refuge Locatelli
Bien que vaste, ce refuge n’a pas du tout l’ambiance « hôtel ». Situation splendide en face des imposantes faces nord. L’ambiance y est très cordiale ; c’est le refuge préféré des alpinistes de toutes nationalités. Dans les Dolomites, c’est là que vous avez le plus de chances de rencontrer un camarade avec qui effectuer de grandes courses. On peut généralement trouver un guide du Club Alpin Italien au refuge.
A proximité immédiate, deux petits lacs invitent à la baignade (les beaux jours, l’eau atteint 20 à 22°). Bons emplacements de camping.
Époque préférable
Il faut éviter de se rendre dans le massif au mois d’août, qui voit l’invasion des touristes. Le mois de juillet est préférable pour les directissimes : longues journées, bivouacs plus courts et moins froids. En juillet les faces nord « classiques » (voies Comici de la Grande et Cassin de la Ouest) sont partiellement mouillées par la fonte lente de névés. La première moitié de septembre se signale généralement par une longue période de grand beau, et les parois sont devenues parfaitement sèches.
Les escalades
Nous nous limiterons aux voies les plus intéressantes. Ces voies étant devenues classiques, elles sont presque toutes intégralement pitonnées. Bien entendu, il est recommandé d’emmener un choix de pitons, particulièrement pour les directissimes. Nous ne donnerons de cotations qu’aux voies parcourues par des camarades ou par nous-mêmes. Les horaires sont calculés largement.
Cima Grande
Face nord, voie Comici
– TD – Comici, A. et G. Dimai, 1933.
Splendide escalade que tout bon grimpeur devrait avoir effectuée. Rocher excellent. Après un socle facile, viennent 160 mètres de difficulté soutenue. La voie se fait facilement sans aucun étrier : l’abondance de prises de pied permet de franchir sans effort les passages artificiels. Ainsi effectuée, la voie compte trois passages de V inf./ V (avec emploi d’étrier, un seul passage). La partie supérieure, entièrement libre, est facile : III et IV inf., un pas de IV. La voie est très fréquentée : il est courant de voir 4 cordées engagées le même jour ! La voie étant souvent parcourue par des grimpeurs malhabiles et très lents, il est à conseiller, pour une bonne cordée, d’attaquer vers 10 h du matin. Le temps normal est de 6 à 9 h (la voie a été faite souvent en moins de 6 h). Il est aisé de dépasser dans la partie supérieure. La voie compte deux ascensions hivernales et dix ascensions solitaires. La voie est évidente. La descente est jalonnée et prend une heure.
Récits :
Rébuffat : « Etoiles et Tempêtes » – Arthaud éd.
Comici : « Seul dans la paroi nord de la Cima Grande » – Alpinisme, mars 1948.
Schatz : « Dolomites, visages nouveaux » – Alpinisme, juin 1949.
Seitelberger : « Escalade Solitaire » – Alpinisme, Noël 1954.
Face nord, directissime
– ED – Brandler, Hasse, Lehne, Löw, 1958.
Considérée par beaucoup comme la voie la plus difficile des Alpes Orientales. Il est vraisemblable que certaines parois, peu ou pas répétées et non pitonnées, doivent être dans l’état actuel plus dures que la Cima Grande, qui l’est entièrement. De toutes les parois équipées, la Cima Grande est certainement la plus difficile. Contrairement aux voies nouvelles de la Cima Ouest, la directissime comporte beaucoup d’escalade libre (comparaison avec Freyr : dans les 80 premiers mètres, soutenus en IV sup. et V, il n’y a que neuf pitons, y compris ceux des relais intermédiaires. Le même nombre de pitons que dans les 26 derniers mètres de la Direttissima de Freyr !). Normalement on bivouaque une fois. Le meilleur temps est de 11 h 1/2. Le temps normal est de 18 à 22 heures. A titre indicatif, voici un horaire détaillé : 7 à 8 heures jusqu’au bivouac sous les toits, 5 heures pour les 3 premières longueurs du dièdre surplombant (emplacement de bivouac convenable pour deux), 1 h 30 jusqu’à la grande terrasse, 3 à 5 h pour le restant.
La première hivernale a été effectuée en février 1961 par quatre grimpeurs allemands (4 bivouacs sur la paroi, le 5e au sommet).
Note technique : Annales 1958 du G.H.M.
Récit : Desmaison : « Cima Grande face nord directe » – La montagne et Alpinisme, février 1959.
Arête N – E
– AD sup – Dibona et Stübler, 1909.
Vue de loin, cette arête semble offrir une escalade de grande beauté. En réalité, à l’exception des 100 premiers mètres, c’est une succession de ressauts friables et de terrasses d’éboulis. A déconseiller (chutes de pierres).
Voie normale
– PD – Grohmann, Innerkofler, Salcher, 1869.
Pour des grimpeurs moyens, constitue une escalade à recommander. Bon rocher, cairns, passages variés (II, passages de III inf.).
Cima Ouest
Spigolo N – E
– D sup. – 4 à 6 h – Demuth, Lichtenegger, Peringer, 1933.
Très belle escalade libre, à recommander (1 court passage artificiel). Comme les pitons sont très rares, le premier de cordée devra être sûr de lui. A part quelques zones de gradins, le rocher est excellent.
Face nord
TD – 8 à 12 h – Cassin et Ratti, 1935.
Très belle escalade libre, avec trois longueurs artificielles. La voie est actuellement entièrement pitonnée. La fameuse traversée est devenue assez sûre, les pitons étant bons et le rocher étant bien nettoyé ; elle reste néanmoins très impressionnante, car elle domine un vide absolu de 200 mètres. Cordée homogène indispensable ! Si la Cassin est comparable à la Comici de la Cima Grande pour le détail des passages, l’exposition de certains passages et l’ambiance « grande classe » la classent au-dessus de la Comici. De plus, certains passages artificiels, si des pitons manquent, se classent certainement en A 2 et A 3.
Arrivé dans un amphithéâtre environ 80 m. sous le sommet, on suit généralement la voie vers la droite pour rejoindre directement la voie de descente. Si l’on veut aller au sommet, on suit la voie vers la gauche pour terminer par la voie Demuth (la sortie directe par une cheminée généralement mouillée et très peu fréquentée).
La voie a été faite deux fois en hiver et une fois par un soliste.
Meilleur temps pour une cordée : 4 h 20 jusqu’à la voie de sortie (Jean Alzetta et Jean Bourgeois).
Note technique : « Alpinisme », été 1954.
Récits :
Livanos : « Au-delà de la verticale », Arthaud éd.
Buhl : « Buhl du Nanga Parbat »
Pompanin : « Deux Ecureuils dans la paroi nord de la Cima Ouest di Lavaredo » – Alpinisme, mars 1950.
Directissime française
– ED – 20 à 30 h – Desmaison et Mazeaud, 1959.
Cette voie ne plaira qu’aux amateurs d’artificiel. Un excellent alpiniste viennois la juge « un exercice de pompiers » (Feuerwehrübung). La première moitié s’effectue quasi uniquement sur pitons (certains passages, si des pitons manquent, peuvent présenter des difficultés exceptionnelles de pitonnage).
Cette directissime est caractérisée par ses nombreuses traversées (sic). L’une d’elles atteint 50 mètres. On bivouaque généralement à une étroite banquette située 50 mètres après cette traversée. Planchettes à conseiller pour les relais et pour le bivouac. La voie peut être attaquée par temps incertain : la pluie ne touche pas la partie surplombante et après celle-ci on peut s’échapper par la voie Demuth, dont les difficultés majeures sont situées plus bas.
La voie a été effectuée en solitaire par Armando Aste en 1960 (d’après un article paru dans un journal, elle aurait été gravie également en février 1961 ; nous n’avons pu obtenir de confirmation).
Note technique : Annales 1959 du G.H.M.
Récit :
Desmaison : « Cima Ouest directissime nord » – La Montagne et Alpinisme, décembre 1959.
Directissime suisse
– ED – Schelbert et Weber, 1959.
Voir dans « La Montagne et Alpinisme », octobre 1959 et avril 1960, la relation des circonstances de la première ascension. L’itinéraire des Suisses n’a pas été répété intégralement. A part les seconds ascensionnistes, qui s’élevèrent directement au-dessus du bivouac Kasparek, toutes les cordées ont suivi la voie Cassin à partir de ce point. Exécuté de cette façon, l’ascension demande 15 à 25 heures d’escalade (pitons en place). Jusqu’au bivouac Kasparek, la voie est presque uniquement artificielle.
Note technique : Annales 1959 du G.H.M.
Spigolo N W
– ED – Lorenzi, Michielli et Ghedina-Lacedelli, 1959.
On suit d’abord la voie Cassin jusqu’a la terrasse avant la longueur oblique. On suit alors le fil de l’arête surplombante (180 pitons, dont 60 en place). Les 150 derniers pitons sont faciles. La voie n’a pas été répétée. 21 heures effectives, après préparation de 50 mètres d’artificiel.
Note technique : Annales 1959 du G.H.M. (le tracé sur la photo p. 25 est inexact).
Descente
– La descente par la voie normale est rapide et facile (sans intérêt à la montée). Faire attention à l’orientation (nombreux cairns). Du sommet au pierrier, 1 h 15. En sortant de la face N par la vire, on gagne 30 min. Si l’on retourne aux refuges Lavaredo et Locatelli, ne pas descendre l’interminable pierrier jusqu’à la route, mais suivre un sentier à flanc de coteau, qui conduit à la Forcella Lavaredo.
Cima Piccola
Voie normale
– AD sup. – M. et J. Innerkofler, 1881.
Belle escalade, à recommander.
Face N
– 2 voies. Escalades de cheminées. Voir le guide Berti.
Spigolo N W
– Comici et Mazzorana, 1936
Cette voie, très peu répétée, est certainement très belle. Le meilleur temps pour une cordée est de 4 h 30. Un soliste l’a gravie en 2 h.
Spigolo Giallo
– TD inf. – 3 à 5 h – Mary Varale, Comici, Zanutti, 1933.
Escalade splendide, à recommander. La voie a déjà vu de nombreuses retraites, le meilleur itinéraire étant difficile à trouver. Ne pas suivre aveuglement les pitons en place !
Note technique : Alpinisme, juin 1951.
Face S E
– Egger et Sauschek, 1955.
Escalade exposée, rocher délité. Cette voie est sans doute nettement plus difficile que le Spigolo Giallo.
Punta di Frida
Face sud
TD inf. – 3 à 4 h 30 – Comici, Fabian, Pompei, 1934.
Très belle escalade libre. Peu de pitons. Un peu moins dure que le Spigolo Giallo.
Cima Piccolissima
Face N E
– D – 2 à 3 h. – Preuss et Relly, 1911.
Très belle escalade de cheminée, à recommander. La voie se fait presque entièrement sans piton.
Meilleur temps : Maestri, seul, 50 min. pour la montée et la descente en libre !
Face N
– Eisenstecken et Rabanser, 1948.
Très peu répétée.
Face E
TD inf. – 3 à 4 h – Morandi et Jovane, 1953.
Très belle voie, peu de pitons.
Face S E
– TD inf. – 3 à 4 h – Cassin, Pozzi et Vitali, 1934.
Belle escalade, très aérienne. Certains passages sont plus durs que ceux de la voie Cassin de la Cima Ouest.
Descente
– Par le versant sud. Rejoindre la brèche puis descendre le couloir sud. Plusieurs rappels.
Signalons également deux montagnes intéressantes et situées à proximité du refuge Locatelli :
Paterno
Spigolo N W
– AD sup. – Bolte et Wolf, 1930.
Escalade courte et amusante.
Face nord
– Reiter et Zeller, 1957.
Escalade en rocher très délité.
Cima Una (Einser)
Pilier nord
– Steger – Wiesinger, 1928.
Grande escalade libre de style classique