QUE S'EST-IL PASSÉ À MARCHE-LES-DAMES LE 17 FEVRIER 1934 ?
Annexe 1 : La mort du roi Albert annoncée par le journal « Vers l'Avenir »
«L'Avenir raconte» est une série de 7 podcasts racontant des histoires captivantes tirées des archives du journal « L'Avenir » (anciennement « Vers l'Avenir »). Pour le premier épisode de cette série, la rédaction du journal raconte comment fut annoncée en février 1934 la mort du roi Albert.


Marc Delforge est alors jeune journaliste à Vers l'Avenir. Il raconte.

«Le dimanche, personne ne travaillait au journal. Les bureaux et les ateliers étaient fermés. C'est notre correspondant bruxellois, Octave Petitjean, qui a téléphoné à mon père, lui annonçant qu'à Bruxelles on racontait que le Roi était mort d'un accident et qu'on ne l'avait pas vu samedi soir au Palais des Sports. Mon père m'a demandé d'aller voir au journal. Dans la boîte aux lettres, il y avait un télégramme de l'agence Belga annonçant laconiquement la mort du Roi, à Marche-les-Dames.»

Marc Delforge se rend alors au garage Camps, rue de Bruxelles, pour y louer une voiture.

«Quand nous sommes arrivés sur place, le corps venait de repartir, le Parquet n'était pas encore là. Il n'y avait presque personne. Nous avons pu grimper dans le bois, nous avons repéré des feuilles maculées de sang, nous avons interrogé les gardes forestiers et les gens qui avaient participé aux recherches. Puis, le monde a commencé à affluer, des journalistes venus de partout.»

«Il n'y avait pas de photographe à l'époque à Vers l'Avenir. Nous avons demandé à Monsieur Lemaire de prendre des photos. Puis, je suis rentré à Namur et j'ai pondu un papier à toute vitesse. On a téléphoné à des ouvriers, on les a rappelés et on a imprimé une édition spéciale, le dimanche après-midi, qu'on a vendue en ville. Il y avait des fautes, c'était un peu bâclé, mais nous étions les premiers avec la nouvelle à Namur.»

Cette édition spéciale du dimanche est bordée de noir. Elle n'est illustrée que de photos d'archives: un portrait du Roi Chevalier, un autre avec la Reine visitant les inondés de Jambes en 1926.

Les journalistes décrivent leur visite sur place. La façon dont ils ont pu parcourir les lieux avec facilité est ahurissante. Extraits.

«Tout au long du parcours Namur-Beez-Marche-les-Dames, les habitants se pressent sur le seuil de leur demeure, commentant l'affreux événement et guettant le passage des voitures. Des cordons de gendarmes barrent les routes, il faut montrer patte blanche. Sur place, quelques gendarmes et gardes forestiers entourent les autos de la Cour et quelques véhicules privés.
Nous gravissons l'abrupte colline. Nous suivons un de ses couloirs étroits et raides qui descendent entre les crêtes magnifiques. Les feuilles mortes cèdent sous les pas; les pierrailles s'éboulent en roulant en cascade. Le Parquet, déjà venu le matin, a jalonné de branches d'arbustes le parcours où s'étagent des traces sanglantes, des vestiges macabres. Voici l'éperon du roc sur lequel le corps brisé, pantelant, saignant, vint arrêter sa course atroce. Voici, posée à plat, la casquette grise que portait le royal touriste. Voici une courroie de cuir et, tout près, le sac de toile qu'il avait au dos. À mi-hauteur du rocher, brillent les verres du lorgnon cerclé d'écaille que portait le souverain. Sans doute gêné par eux dans son escalade, le Roi les avait-il accrochés au pied d'un arbuste.
Ordre est donné aux gendarmes d'écarter les journalistes. Nous pouvons aller. Les premiers arrivés sur les lieux, les envoyés ¬spéciaux de Vers l'Avenir sont les seuls qui ont examiné de près les lieux du terrible drame.»

L'édition du lundi est plus étoffée. Des photos montrent le Roi étendu sur son lit mortuaire à Laeken, le rocher, le baron Jacques de Dixmude et son garde-chasse qui ont trouvé le corps.

Les journaux suivants abondent en messages d'hommage venant d'officiels belges et étrangers, de groupes d'anciens combattants, d'associations locales. Des billets au ton lyrique aussi. Dans le journal du 22 février, Marc Delforge commente:

«Nous, à qui ce site était familier, nous, dont l'horizon familier rougeoie d'un sang royal, nous avons plus de peine encore à nous incliner devant le fait tragique. Il nous semble que si quelque lointain ciel de Flandre, quelque coin ignoré de Wallonie avait été le témoin du brutal trépas, notre croyance serait plus aisée.»

La vie s'est arrêtée. À Namur, lit-on, le beffroi a sonné le glas.

Aux messes, les prédications en chaire ont annoncé la nouvelle et invité les fidèles aux prières. Les drapeaux sont en berne. Les théâtres font relâche, les cérémonies officielles et les matchs de football sont remis.
Mais il y a un couac au théâtre de Namur. «L'administration communale a prié le concessionnaire de suspendre ses séances dimanche; celui-ci a refusé, sans versement comptant d'un dédit énorme.»
Le jour des funérailles, le 22, le journal ne paraît pas, car la Poste et les porteurs ne travaillent pas.

Dans son édition du lendemain, la rédaction décrit cette journée à Namur:
«Les rues sont désertes, l'impression est entièrement mélancolique, lugubre. Pas un foyer qui ne se soit trouvé à l'écoute de la radio. La foule s'est rendue nombreuse au pied de la fatale falaise de Marche-les-Dames où notre Roi, le cher Héros de la Guerre, a trouvé une mort cruelle.»

Ce pèlerinage sur les lieux dure des semaines, et le journal insiste à plusieurs reprises pour que les services d'autobus et de trains soient renforcés, ce qui est finalement décidé.

Nombreux plaident pour que soit érigé un monument. Il faudra attendre 1955 pour que ce vœu se concrétise, et ce ne sera pas à Marche-les-Dames, mais à Namur.

Source : Vers L'Avenir
 
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